Déclaration de guerre et mobilisation
En1939, j'étais infirmière à Hauteville où je soignais les tuberculeux.
On attendait la déclaration de guerre en ce mois de septembre, et je me rappelle la sonnerie des cloches, puis la déclaration à la radio et les cris des malades affolées: les femmes pensaient à leurs maris, leurs fils, qui allaient être mobilisés, d'où la panique, le désespoir !
Le médecin-chef, très calme, fit un discours de circonstance. La Marseillaise jouée au poste radio prenait une dimension tragique. Avant de nous quitter, le Docteur rappela aux infirmières ce qu'elles devaient faire: "bromure à tous les étages!" nous laissait-il en message. La soirée se passa à calmer les crises de larmes et les évanouissements.
Quelques jours après, je partis à Autun, retrouver ma famille et préparer mon départ en ambulance puisque j'avais demandé ma mobilisation.
Ne recevant pas l'ordre attendu, je préparais ma cantine militaire. Un poste de remplacement à l'Infirmerie des Mines d'Epinac me parut possible car il était de très courte durée. J'avais pris contact avec les "gueules noires", mais, mon ordre de mobilisation étant arrivé, je dus chercher à Autun, une infirmière pour me remplacer... et ce ne fut pas facile...
Je devais partir de Paris et mon beau frère vint m'accueillir pour une journée avant le départ pour l'inconnu...
Départ pour l'Ambulance
Ayant pris une chambre à l'hôtel, je fus réveillée par la sirène qui, dans une première sonnerie, prévenait qu'il fallait descendre à la cave ; une seconde sonnerie devait annoncer la fin de l'alerte... Après réflexion, je fus d'avis de rester au lit, avec l'idée qu'en cas dramatique, je serais mieux que dans une cave! On entendit bientôt le bombardement sur une partie de Paris qui semblait éloignée. Après la fin de l'alerte, je fis ma toilette et m'habillai. Bientôt, Gustave, mon beau-frère, arriva et me dit que le bombardement avait touché l'ouest de Paris.
Je mis l'uniforme: blouse blanche, voile bleu marine avec la croix rouge, cape bleu marine croisée sur les épaules, pour aller, avec mon beau-frère, faire un tour dans la Cité. Il m'emmena déjeuner puis m'accompagna à la gare de l'Est. Je devais retrouver à la gare deux infirmières et le médecin-chef de l'ambulance A.C.L. 417 (le plus grand médecin major).
J'oublie de parler du déjeuner, étonnant en ces temps de restrictions: menu de fête avec langoustes et autres mets succulents. Après le café, retour au métro pour le lieu de départ.
Sur le quai de la gare, découverte de mes collègues, également en uniforme : découverte et fraternisation. Après avoir remercié mon beau-frère, nous partons à la recherche de notre médecin-chef... C'est lui qui nous découvrit et nous conduidit à notre compartiment.
La veille nous avions appris les combats qui avaient lieu sur le front ; nous ne savions pas où nous allions puisque, en temps de guerre, le secret le plus absolu est de rigueur.
Dans le compartiment, en face de nous, une jeune femme pleurait à côté d'un officier, très ému lui aussi, sans doute de retour du front... Le voyage se poursuivit avec arrêt de temps en temps dans des gares sans nom et voilées de noir par la défense passive.
A Chaumont, l'arrivée des premiers blessés
Il fait gris, il pleut, le temps se met à l'unisson de notre tristesse...
Tout à coup, un violent coup de frein, le train change d'aiguillage, puis s'arrête. Notre médecin-chef vient nous chercher. Nous descendons sur le quai où nous attendent un militaire et un camion ... il faut enjamber... je bénis ma grand mère qui m'a fait mettre une jupe-culotte.
Nous roulons sur une route cahoteuse et découvrons que nous sommes à Chaumont. Puis arrivée dans un petit pays, Bort-les-Ormes je crois... Nos collègues entourent le camion. Elles sont 13, en civil, et préparent le repas du soir. Nous sommes dans un pensionnat où nous vivrons quelques jours.
Il fait beau ! Nous en profitons pour sortir dans ce petit village et faire connaissance de toutes celles qui forment notre équipe ; notre infirmière-chef est très sympathique.
Un matin, nous recevons notre ordre de départ pour une caserne de Chaumont que nous devons transformer en hôpital H.O.E. : chambres individuelles ou grande salle à équipée en dortoir ... nous nous activons, les infirmiers aussi.
Après un repas de fortune, nous devons aller, dans une autre caserne, essayer "nos casques" (nous sommes dans la zone du front). Nous avions toutes des cheveux abondants et ce fut une vaste rigolade ! Les casques n'étaient pas assez larges. Enfin, chacune reçut le sien, qu'elle devait mettre sur ordre.
Les premiers blessés devaient arriver et tout le monde fut mobilisé ... Les ambulances arrivèrent et se succédèrent rapidement ... brancardage de tous ces hommes que nous allions essayer de soigner. C'était des Africains ... des Arabes... tous blessés en première ligne.
Ils arrivèrent en masse et, bientôt, il fut difficile de leur trouver un lit. Après installation, tout le service médical fut en action. Il fallait faire vite, l'avancée allemande se rapprochant ... Il n'était plus question pour nous de manger et de boire ! ...le brancardage était difficile dans les grands escaliers à rampe de fer forgé de cette caserne transformée en hôpital...
Le soir, ayant terminé, et les blessés expédiés dans le Midi de la France, nous nous sommes retrouvées trois amies et nous nous sommes écroulées sur nos lits, complétement harassées de fatigue... Bientôt réveillées, nous découvrions les punaises qui nous provoquaient de nombreuses piqûres. Après une chasse inefficace, nous avons pris le parti d'en rire et de bavarder, nous demandant ce qui nous attendait le lendemain !
Le lendemain, après un repas enfin réconfortant, on nous annonçait que nous devions attendre l'ordre de départ, quand les ambulances viendraient nous chercher. On nous prévint aussi qu'il faudrait laisser nos cantines, emportant avec nous l'indispensable. Ayant regagné nos chambres, nous nous demandions ce qu'il fallait emporter ; après réflexion il nous sembla bon de donner la préférence à un peu d'argent et aux photos de nos familles... ce qui nous paraissait le plus important.
Dans les files de la Débâcle
L'ordre fut donné de nous rassembler à l'extérieur de l'hôpital avec les fameux casques sur la tête (sauf pour Lulu, une compagne, qui y avait déjà logé un hamster et de l'herbe !). Tout le groupe se trouve équipé pour le départ, ce 8 mai 1940, attendant l'ordre qui ne venait pas.
Dans le ciel, tout à coup, surgirent des avions italiens qui piquaient sur nous puis remontaient avec un bruit de sirènes ... L'hôpital ne fut pas atteint, grâce à une grande croix rouge étalée sur les jardins, mais la panique avait étreint les membres de notre groupe, plus âgées et plus sensibles. Nous étions alors obligées d'aller prendre place dans les tranchées autour de l'hôpital, d'où les photos convaincantes à rapporter chez soi !
Le calme revenu, assises dans l'herbe au bord du fossé, nous pouvions nous rassasier de sandwichs et boire un peu d'eau.
Le temps passait lentement ... Sur la route commençaient à arriver des voitures, des charrettes débordant de tout ce que les gens pouvaient emmener de leurs maison abandonnées ...
Enfin les ambulances arrivèrent et chargèrent matériel et personnel. Un infirmier survint pour nous dire que les cantines avaient été embarquées... ce fut un soulagements et des remerciements ...
Le voyage se poursuivait dans les files de voitures. A un moment donné des avions allemands nous survolèrent, et le plus simple fut d'aller nous aplatir dans les prés voisins.
Le bombardement avait fait des blessés qui hurlaient ... mais pas le temps de s'arrêter, nous repartions en une file baroque et interminable. Des voitures attelées de chevaux où s'étaient entassés enfants et vieillards, chargées de matelas, de cages à oiseaux, de casseroles ... tout le défilé de cette foule vagabonde et affolée qui devait être appelée "la Débâcle".
On circulait lentement et il faisait très chaud. Arrivant enfin à un croisement de route, le chauffeur nous avertit qu'il préférait passer par la forêt et changea de direction ... Quelques instants plus tard, un bruit de motos nous avertit que les Allemands passaient sur la route que nous venions de quitter ! ...
Il était tard. Le commandant fit prévenir que nous ferions étape à Saint-Amour (Jura). Notre infirmière-chef nous avertit que nous allions demander asile à un couvent proche. Nous étions fatiguées, nous nous sentions sales, n'ayant pu nous laver, ni le matin, ni la veille. Les 16 infirmières introduites et conduites dans une vaste cuisine n'en croyaient pas leurs yeux : devant une cheminée aux cuivres étincelants, des religieuses en cornette blanche et robe brune nous accueillaient avec le sourire, nous demandant si une tasse de chocolat nous ferait plaisir ... Nous nous croyions dans un autre monde, les restrictions ne nous permettaient plus d'envisager un tel plaisir ! Avec joie nous dévorions le pain et buvions le chocolat dont nous avions toutes perdu le goût ...
La Mère Supérieure nous fit part de sa perplexité : elle ne savait pas où nous faire coucher ! Une possibilité ? le dortoir où dormaient des hommes malades qu'ils ne fallait pas réveiller ce soir-là. Nous lui promîmes de nous coucher en silence et elle nous conduisit dans le dortoir ... En grand silence, nous commencions à nous endormir quand tout à coup un bruit métallique éclata dans la nuit ! ... Immédiatement les hommes en liquettes sortirent des rideaux pour se retrouver face à des filles faisant leur apparition fagotées et coiffées de casques guerriers. La peur nous avait remises en état de partir ... et ce fut bien confuses que nous franchîmes la porte. La Mère Supérieure ne nous fit pas de compliments ... et nous conduisit dehors où nous retrouvâmes avec joie les ambulances.
Fatiguées, il nous fallait attendre le départ pour rejoindre la foule étrange de ceux qui fuyaient, emportant avec eux ce qu'ils espéraient sauver de cette guerre parvenue jusqu'à eux ... Après un repas sommaire dans un petit village, nous reprenions la route pour arriver à Pompadour, près du château de l'illustre marquise. Il fallut chercher des chambres pour passer la nuit. L'infirmière-chef, me trouvant fatiguée, m'offrit de dormir avec elle, dans la chambre d'une adorable grand-mère ...
Repos absolu et, à l'aube, re-départ sur la route toujours emplie de fuyards et de soldats perdus marchant au milieu ...
Une dernière nuit à passer avant d'arriver à Toulouse ! Toujours le bruit des avions et des tirs sur la route ; cette fois encore nous pouvions échapper à la mort dont les cris des victimes arrivaient jusqu'à nous.
En route pour Libourne
Sur le pont de Gray, un bombardement qui ébrèche l'ambulance ... pas d'autres dégâts, mais la vision d'une église en feu dans la ville ...
Au cours du voyage, l'une d'entre nous ayant soif, nous nous arrêtons à la barrière d'une maison dont les habitants regardaient la route ... nous demandons un verre d'eau ... Une femme nous crie : "Si vous payez". Furieuses, nous repartons, mais avant, nous lui disons que les Allemands qui nous suivent leur paieront les verres d'eau !...
Nous arrivons très fatiguées à Libourne, une ville envahie par la foule, et nous cherchons en vain un abri ; nous ne trouvons qu'une écurie avec de la paille et un grenier à foin muni d'une échelle ... L'écurie est attribuée aux hommes, tandis que nous montons les unes et les autres vers le foin, assaillies de moqueries et avis sur nos jambes et notre équilibre ... un peu de gaïeté nous fait du bien et nous oublions le repas, qui, ce soir, sera absent. Le foin a un parfum fort, et nous ne pouvons guère nous déshabiller, vu les tentatives d'escalades de nos voisins ... la fatigue aidant, nous finirons par nous endormir ...
Le matin, des cris et des rires nous réveillent : les garçons ont trouvé des seaux d'eau et la sueur qui nous colle à la peau devrait disparaître ... mais nous ne pouvons que tremper un coin de serviette dans l'eau tant ils sont présents !
Le voyage doit se poursuivre jusqu'à Toulouse, siège du Service de Santé des Armées. Toujours la même foule cahotante et le même soleil très chaud ... Le long de la route : voitures abandonnées, épaves de toutes sortes ... les soldats perdus marchent épuisés ; nous recueillons un soldat belge avec son képi à pompon rouge ... il se tiendra sur le marche-pied, nous lui faisons boire un peu d'eau.
L'arrivée à Toulouse
Toujours des avions qui tournoient au-dessus de nous. Nous avançons quand même, et bientôt la banlieue de Toulouse nous absorbe. Il faut trouver dans la cohue le portail qui nous attend. Des mlédecins, des civils nous accueillent et nous annoncent que nous devons être la seule ambulance à arriver avec son personnel et son matériel ! Nous serons, paraît-il, décorées pour ce fait d'armes et en attendant nous avons faim et soif et faisons honneur à un repas improvisé.
Nous devons reprendre la route pour aller à Foix, en Ariège, installer un hôpital de campagne.
Dernière étape sur la route du convoi
Arrivée dans cette ville à découvrir : Foix est une petite ville coquette nichée dans un recoin des Pyrénées.
L'ambulance nous conduit dans un lycée, qui sera notre champ d'action, puis, à la sortie de la Cité, dans un pensionnat de jeunes filles (en vacances) destiné à devenir notre refuge. Il y a des lits avec des matelas, et, nous sommes si fatiguées que nous les investissons et plongeons dans le sommeil.
Le jour nous réveille et un infirmier qui apporte du café est le bienvenu. Des robinets et lavabos dans la cour sont la découverte qui nous plaît le plus. Très vite nous voilà en petites tenue affairées à notre toilette si indispensable. Le travail nous attend au Lycée de garçons ... L'humeur est belle et nous chantons sur la route qui nous conduit à travers la ville.
A peine arrivées, nous apprenons que des malades sont attendus : aussitôt, infirmiers et infirmières sont en action pour monter les lits et tout organiser. Dans la matinée, visite du Proviseur du Lycée qui découvre les salles de classe transformées pour accueillir les blessés. En admiration devant notre travail, ce gros monsieur, qui ressemble à Sacha Guitry, nous félicite et nous promets une décoration ! Mes souvenirs ne me permettent pas de dire si nous l'avons reçue...
Branle-bas : les blessés arrivent ! Il faut les recevoir et les installer ... peu de blessures sérieuses, surtout des éclopés ... traitement et béquilles pour la plupart et repas à servir pour les infirmiers ... bandages et soins pour les infirmières.
Nous prenons notre déjeuner au mess des officiers : moment très agréable, après lequel nous pouvons nous retrouver pour un café, en ville. Les nouvelles sont mauvaises : retraite des armées sur les routes de la Débâcle, fuite générale, gouvernement à Bordeaux ...
Retour au Lycée-hôpital, visite de l'Aumônier qui accepte de donner des nouvelles à mes parents dont nous ne savons rien des uns et des autres ! Soins, puis retour à notre gîte de la nuit. Une d'entre nous est malade : émotion et crise nerveuse qui finit par passer et la laisse très dépressive ...
Une autre compagne nous fait part d'une nouvelle entendue à la radio : un officier a appelé "les combattants à poursuivre les combats et à se rallier à lui" ... Joie de toutes les infirmières présentes. Un espoir nous accompagne dans nos lits et le calme de la campagne où nous avons trouvé refuge nous endort aussitôt.
Pendant plusieurs semaines nous vivons au rythme de l'hôpital, avec opérations, pansements, soins : nous apprenons à connaitre nos blessés qui semblent se trouver bien avec leurs infirmières ! Promenade avec certains malades bientôt guéris. Repas au mess, café en ville, puis reprise du service. Il fait beau et les environs de Foix sont très agréables ; nous allons souvent au bord du fleuve qui a la particularité de charrier des pépites d'or.
L'armistice et la fin de l'aventure
Ce qui est dur, c'est d'être sans nouvelle de nos familles, pour celles qui habitent en zone occupée. Nous savons qu'il y a des pourparlers de paix entre l'Allemagne, à bout de souffle, et Vichy, qui accepte sa défaite. Un matin, nous apprenons l'Armistice : nos blessés, fous de joie, ne pensent qu'à rentrer chez eux ! ... Pour moi, qui suis de zone occupée, on ne sait rien encore.
Bientôt nous accompagnons nos collègues aux trains qui les ramèneront chez elles ... C'est pénible pour moi qui vais rester seule ... L'infirmière-chef me loue un petit studio, mais, Marthe, que nous appelons Matou, m'invite chez elle à Périgueux, où je resterai quelques jours avant de repartir au Sana d'Hauteville.
La paix revenue, l'aventure s'était terminée avec cette guerre vécue en ambulance. D'autres projets allaient entrer dans ma vie...
Souvent je pense à ces vieux souvenirs et au temps où la France attendait la Libération et la Paix rétablie.
Je souhaite que ces lignes puissent être un témoignage de la souffrance du Pays, engendrée par la guerre et la débâcle, à cette époque bien controversée à présent.
Si cette tragédie fut courte, elle n'en a pas été moins douloureuse, j'en fus le témoin et peux le certifier.
Gisèle Littner
Infirmière à l'A.C.L. (417) mobilisée pour la durée de la guerre 1940-1945